Page ouverte au public › Forums › Violation de la confidentialité des mesures de prévention amiable par les journalistes : sanctions
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Cass. com. 13-6-2019 n° 18-10.688 FS-PB, Sté Mergermarket limited c/ Sté Consolis
Engage sa responsabilité l’organe de presse qui, violant l’obligation de confidentialité sur les procédures de prévention amiable des difficultés des entreprises, divulgue les négociations menées par des sociétés dans le cadre d’un mandat ad hoc.
1. Dans le cadre de la prévention des difficultés des entreprises, toute personne qui est appelée à une procédure de conciliation ou à un mandat ad hoc ou qui, par ses fonctions, en a connaissance est tenue à la confidentialité (C. com. art. L 611-15).
2. L’éditeur d’un site d’informations financières en ligne, spécialisé dans le suivi de l’endettement des entreprises, commente l’ouverture d’une procédure de mandat ad hoc à l’encontre de plusieurs sociétés d’un même groupe, puis il rend compte de l’évolution des procédures en cours et des négociations engagées pour la restructuration de la dette du groupe.
Invoquant l’existence d’un trouble manifestement illicite du fait des manquements de l’organe de presse à la confidentialité attachée aux mesures préventives, les sociétés du groupe obtiennent en référé le retrait des articles ainsi que l’interdiction d’en publier d’autres (instance ayant donné lieu à Cass. com. 13-2-2019 no 17-18.049 FS-PBI : BRDA 7/19 inf. 11, rendu sur renvoi après cassation de Cass. com. 15-12-2015 no 14-11.500 FS-PBI : RJDA 3/16 no 254).
3. Parallèlement, les sociétés agissent au fond contre l’organe de presse en vue d’être indemnisées du préjudice subi du fait des articles litigieux. Cette fois encore, la Cour de cassation fait droit à leurs demandes, reprenant pour partie les solutions déjà posées dans les arrêts précédents, et apportant des précisions nouvelles en ce qui concerne la responsabilité des journalistes.
Violation fautive de l’obligation de confidentialité
4. La société de presse soutient d’abord, comme elle l’avait fait devant le juge des référés, que l’obligation de confidentialité de l’article L 611-16 du Code de commerce ne vise pas directement les journalistes.
La Cour de cassation écarte l’argument. Dans la droite ligne de sa précédente décision, elle rappelle que, en imposant un devoir de confidentialité à toutes les personnes appelées à une procédure de conciliation ou de mandat ad hoc ou qui, par leurs fonctions, en ont connaissance, l’article L 611-16 pose le principe de la confidentialité des informations relatives à ces procédures, qui se justifie par la nécessité de protéger, notamment, les droits et libertés des entreprises qui y recourent. L’effectivité de ce principe ne serait pas assurée si ce texte ne conduisait pas à ériger en faute la divulgation, par des organismes de presse, hormis dans l’hypothèse d’un débat d’intérêt général, des informations ainsi protégées. La faute procède donc de la méconnaissance de ce texte.
5. La société de presse soutient ensuite que, les restrictions à la liberté d’expression ne pouvant être apportées que par des dispositions légales, précises, accessibles et prévisibles, ce texte n’aurait pas permis de prévoir, à l’époque des publications litigieuses, que la diffusion d’informations relatives à une procédure de conciliation pourrait constituer une faute civile, de sorte que les publications litigieuses ne pourraient pas engager la responsabilité civile du journaliste.
Sur cette question, propre à l’action en responsabilité et qui n’avait donc pas été posée dans l’instance en référé, la Haute Juridiction juge que l’organe de presse ne pouvait pas ignorer qu’il publiait des informations protégées et que, ce faisant, il risquait de causer un grave préjudice aux sociétés du groupe et, ainsi, d’engager sa responsabilité civile.
6. C’est ce qu’avait déjà jugé la Cour européenne des droits de l’homme, qui autorise la condamnation de journalistes lorsqu’ils ne peuvent ignorer que les informations qu’ils publient sont confidentielles (par exemple, CEDH 18-5-2014 no 58148/00, Plon c/ France, à propos de la publication du livre du médecin de François Mitterrand). La rédaction du texte, son contexte et les circonstances doivent permettre au journaliste de prévoir les conséquences potentielles de la publication, ce qui était le cas ici.
Absence de débat d’intérêt général justifiant les publications
7. L’obligation de confidentialité n’est pas absolue et est limitée par la nécessité d’informer le public sur une question d’intérêt général (Cass. com. 13-2-2019 no 17-18.049 et Cass. com. 15-12-2015 no 14-11.500 précités).
Comme elle l’avait déjà jugé dans la procédure de référé, la Cour de cassation retient qu’ici les informations divulguées n’étaient pas justifiées par une telle question. En effet, si le sujet de la résistance des opérations d’achat avec effet de levier (LBO) à la crise et les difficultés que des sociétés ainsi financées peuvent connaître relèvent d’un débat général, dont plusieurs journaux s’étaient déjà fait l’écho – mais en se contentant d’informations générales, n’informant le public que de l’existence de procédures en cours –, tel n’est pas le cas, juge la Haute Juridiction, des informations publiées, qui étaient précises et chiffrées et portaient sur le contenu même des négociations en cours et leur avancée ; ces informations intéressaient, en effet, non le public en général mais les cocontractants et partenaires des sociétés en recherche de protection.
Etendue de la responsabilité des journalistes
8. Autre question nouvelle soumise à la Cour de cassation dans le cadre de cette instance : celle de la proportionnalité de la sanction prononcée (175 854 € de dommages et intérêts), par rapport à la faute commise.
Comme il fallait s’y attendre, la Cour rejette le moyen : les juges n’avaient fait qu’appliquer le principe de réparation intégrale du préjudice, suivant lequel le montant des dommages et intérêts, qui ne peut pas être disproportionné, doit être fixé à la mesure du préjudice subi, sans tenir compte de la gravité des fautes commises.
© Editions Francis Lefebvre 2019
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